Diffusion : mardi 7 juin à 11h et dimanche 12 juin à 15h
Émission réalisée par Marie Laloum, Olivier Mestre et Paul Rohmer
Qu’est-ce qui nous rassemble dans cette société ? Qu’est-ce qui nous unit ? Qu’est-ce qui fait sens pour les individus ? Pourquoi les gens se réunissent-ils et font corps ensemble ? Autour de quelle culture ; De quelles communautés d’intérêt ; De quelles œuvres artistiques ? L’art, le cinéma, la danse, la littérature, le théâtre ou encore la musique ? Quelle création nous proposent les artistes ? pour quel public ? Avec quel financeur ? Qu’est ce qui est essentiel ?
Dans les Nouveaux sauvages, on se questionne beaucoup sur la culture au sens large, sur ses transformations, l’évolution des métiers et de la création artistique. Le thème est vaste, nous le savons, pour cela avec Olivier Mestre nous avons décidé de nous positionner sur les changements que rencontrent le monde de la musique, les professionnels et les artistes ainsi que les ponts qu’il y a entre les différents arts culturels.
Pour en parler, nous avons le plaisir d’accueillir
– Jean-Hervé Michel au titre de son expérience professionnelle dans le milieu des musiques actuelles et musiques du monde. Il a été fondateur et directeur de l’agence artistique Nueva Onda qui maintenant travaille sous l’égide Caramba, une société de production qui représente des artistes de toutes nationalités, dans des styles musicaux les plus variés (chanson, rock, pop, rap, world, cirque, danse, …).
– Grégory Bonnet, musicien, percussionniste et chanteur du groupe Grail’Oli, un collectif qui fait le pont entre les cultures, les langues et les générations. Ils jouent des musiques d’ici et d’ailleurs essentiellement dans le grand Sud.
Dans cette émission, ils nous partagent leur expérience, leur histoire, leur vision du monde de la musique, de la culture et de la création artistique.
Chronique de Paul Rohmer
Vous voulez bien fermer les yeux une minute ? Fermez les yeux, détendez-vous, écoutez, rappelez-vous…
Nous sommes le 16 avril 2020, nous sommes tous confinés depuis un mois, isolés, confus, angoissés, éperdus, et soudain internet nous conseille cette vidéo : les Remerciements du Ballet de l’Opéra de Paris.
Chacun danse, sur le Roméo et Juliette de Prokofiev. Chacun danse, dans sa cave, sa cuisine, dans un escalier, dans son bain, sur son balcon, sur un gazon synthétique ou naturel, sur un toit, en costume, en jogging, en slip-chaussettes, avec ses enfants, son conjoint ou soi-même. Chacun danse pour soi et pour nous tous, ensemble ils nous remercient et ainsi, nous donnent envie de les remercier, car ils ont permis à la grâce d’entrer, par effraction mais sur les pointes, chez chacun d’entre nous…
Plus tard, quand nous avons cessé d’applaudir les soignants et de croire que rien ne serait plus jamais pareil, quand, usés, nous ne rêvions plus que d’un retour à la normale, les artistes et les professionnels du spectacle ont commencé à manifester leur colère de ne plus pouvoir travailler, interpréter, créer.
Parmi toutes les questions que la pandémie nous a renvoyées en pleine face, ils imposaient celles-ci : L’art et la culture ne doivent-ils pas être considérés comme des activités essentielles ?
Cette question dépasse de loin le cadre de ces deux ans de pandémie, comme le cas de la corporation des créateurs professionnels – elle renvoie au rôle de la culture dans la société. Qu’est-ce que la culture fait à la société, qu’elle soit locale, nationale, ou mondiale ? Quels efforts une société doit-elle consentir pour assurer la vitalité de sa culture, et donner du sens à ce qui la rassemble ?
Sans forcément remonter à François Ier ou Louis XIV, la France a longtemps été un exemple de politique culturelle très ambitieuse. André Malraux a dirigé à partir de 1959 un ministère des Affaires Culturelles chargé de faire découvrir les cultures du monde aux Français, mais surtout de contribuer au rayonnement artisitique national en rénovant le patrimoine d’une part, et d’autre part en commandant des œuvres à Picasso, Mirò, Calder ou Chagall. Ce mécénat, amplifié sous Pompidou, fut maintenu après 1981, mais Jack Lang a transformé en profondeur les objectifs de la politique culturelle, en cherchant à démocratiser la production et surtout la diffusion, pour réaliser enfin le vœu de Jean Vilar, fondateur du festival d’Avignon, de « faire partager au plus grand nombre ce que l’on a cru jusqu’ici devoir réserver à l’élite ». Il s’agissait alors de partager, de redistribuer le « capital culturel » défini par Bourdieu une dizaine d’années plus tôt.
C’est ainsi que sont nées la fête de la musique, les journées du patrimoine, les radios libres, mais aussi le prix unique du livre, le régime des intermittents du spectacle, ou le financement du cinéma d’auteur par la billetterie et la télévision, donc par les recettes du grand spectacle. C’est ainsi que la France imposa « l’exception culturelle » dans les règles du commerce international, qui permet de financer la production artistique et la culture nationales en les protégeant de la concurrence mondiale, par exemple avec un quota de 40% d’oeuvres françaises diffusées à la radio.
Mais si la production et la création ont été stimulées, les pratiques culturelles se sont-elles démocratisées ? La moitié des Français ne sont jamais allés au théâtre. Un quart lisent moins d’un livre par an. On peut saluer l’envie de mettre fin à l’exclusivité de la haute culture, celle des élites, pour légitimer la culture populaire, mais n’a-t-on pas remplacé l’art par le divertissement ?
Mettre en valeur le hiphop, lui accorder de la légitimité, n’est-ce pas l’anesthésier avec les stratégies commerciales de l’industrie culturelle ? Et faire entrer le street art au musée ne revient-il pas plutôt à déposséder les classes populaires d’une culture vivante, pour l’offrir, réifiée, à la bourgeoisie ?
Que reste-t-il de subversif quand tout rentre dans le consensus ? Cette définition très inclusive de la culture peut-elle sauver ce que l’art a de radical, de nouveau, d’exigeant ? Cicéron parlait de « cultura animi » : il s’agissait alors de cultiver son âme, de l’élever par l’étude… Que peuvent nous apporter Soulages, Rimbaud ou Tupac s’ils sont coincés entre Hanouna, la K-Pop et le Puy-du-Fou ?
Chronique d’Olivier Mestre
« Ah, mais je connais cette musique ». J’ai l’impression que c’est une phrase que je me répète de plus en plus souvent. Normalement, cela serait une bonne nouvelle : cela voudrait dire que j’ai une bonne culture musicale. Et pourtant, pas tant. Non, cette phrase me vient d’ailleurs. Je la prononce pour de différentes raisons, je la prononce alors même que j’écoute de nouveau sons. Pourquoi ? Pourquoi cette impression que ne parviennent à mes oreilles que les redondances et les échos de recettes depuis longtemps périmées ? J’ai beau chercher sur les ondes et sur internet, rare sont les mélodies qui aujourd’hui parvienne à me faire ressentir l’émerveillement de la découverte.
Alors, réelle perte générale d’originalité ou simple blase de mon temps ?
Marie (air taquin) : Un peu des deux non ?
Ouaip pas faux…Mais justement ! Madame… Ma lassitude vient en partie du fait que les créateurs et créatrices originaux (à ne pas confondre avec les orignaux) sont une espèce en voie de disparition. Où plutôt en voie de lissage. La créativité en occident, je ne peux prétendre parler pour d’autres cultures, est de plus en plus polie, travaillée, façonnée et triturée. De plus en plus d’œuvres sont intégrées dans ce que l’on pourrait appeler le parfait petit code des bonnes règles de l’art. Quelle musique populaire n’utilise pas aujourd’hui 4 accords magique que l’on nous ressort à toute les sauces ? La fameuse suite : (Do, Sol, La mineur, Fa). Voici un extrait ces quatre accords.
Pour celle et ceux qui ne me croiraient pas, le 4 chords song, la chanson des quatre accords, du trio d’humouriste américains Axis of Awesome saura peut-être vous convaincre. Nous vous mettrons le lien sur la page de l’émission à voir sur notre site : www.rphfm.org
Bref, revenons à nos moutons.
Une fois que l’on connait cette recette magique, l’on se rend vite compte que cela fait presque 60 ans qu’elle s’impose progressivement de partout. Non seulement dans la pop, mais aussi dans nombre d’autres genre, dans lesquels cette magie est souvent juste dissimulée avec plus de talent.
Donc pour résumer : Aujourd’hui, beaucoup des nouvelles musiques sont au final des variantes d’une même base, juste assez altérée pour cacher la ressemblance. Habile.
Alors doit-on blâmer ces quatre accords de sonner si bien ensemble ? Bien sûr que non leur harmonie reste belle malgré tout, mais comme chaque bonne chose il voir savoir l’apprécier avec parcimonie. Et si seulement il y avait que ça : où sont passées les révolutions musicales ? A quand la prochaine évolution harmonique ? Je ne peux m’empêcher de penser que l’on stagne comme jaja comme dirait l’autre. Bloqués entre la nostalgie de la musique des temps passés et leur rééditions modernes. Et là on parle que de musique. En littérature et cinéma, ce n’est guère mieux. Entre le 25ème film marvel, la énième série star wars et les romans de fantaisie, le genre de l’imaginaire par excellence, plus codés que la constitution elle-même, je vous le demande, où va-t-on ? Pas que je déteste particulière certains des univers cités, mais plutôt une envie de voir autre chose, de faire différemment. Finalement je pourrais résumer ça à deux questions : Sommes-nous condamnés à vivre dans un classicisme constant ? Et, Marie, suis-je pessimiste ?
Marie : Légèrement oui…
Oui c’est vrai tu as raison. Allégeons le ton. Bon ! Qui blâmer ?
Marie : Hum… c’est un ton plus léger ça ?
Oui ! L’optimisme. Je vais y venir. Donc, qui blâmer ? Les producteurs, les artistes eux-mêmes ? Dans les deux cas, ça dépend des cas. Le pognon, la moula ? Oui, certainement, mais il y a autre chose, quelque chose de plus profond. Quelque chose que nous avons oublié, ou que tenté de refouler, je ne sais pas. Ce dont je parle c’est la quête du plus grand, cette volonté de voir au-delà de nos propres barrières, de nos propres constructions et de nos propres possibilités. Il est important de garder compte, d’entretenir et de lire, de voir ou de jouer les oeuvres de notre passé, mais par pité, évitons l’académisme et, surtout, ne transformons pas tout cela en une norme finie et immuable. Enfin, et voilà que vient l’optimisme, j’ai toujours bon espoir que cette sentation d’immobilité s’éfface un jour et que notre culture, notre créativité, notre inovation et notre imaginaire reprennent la place qui leur aie due. Parce qu’au delà de cette apparente stagnation culturelle, nous sommes humains et, de ce fait, nous possédons toujours cette magie quelque part en nous. Le nouveau n’est pas mort, il existe encore, même diminué, et continuera d’exister tant que vivra l’humanité. Pour le reste, il ne tiens qu’a nous de nous avançer dans cette direction.
En tout cas, dans les nouveaux sauvages on y croit dur comme fer et on va tenter notre chance. Qui veut venir ?